enseignement

Je suis une artiste enseignante — l’enseignement est une partie intégrale de ma pratique comme artiste. J’enseigne la céramique comme professeure à temps partiel à l’Université Concordia.  J’enseigne aussi les arts plastiques à de jeunes enfants.

Il y a une pollinisation incessante entre différents aspects de ma vie.  Ma pratique artistique, mon enseignement, mon rôle de mère de trois adolescents/ jeunes hommes, ma passion pour les plantes et le jardinage, mon travail intérieur  ( je tend vers l’idée de consentir chaque jour à me repenser ) tout ça se mélange allègrement et se vivifie.

Avoir une pratique soutenue en arts visuels me permet de garder mon enseignement vif et vibrant et, en vertu de la théorie des vases communicants,  ma recherche et ma pratique artistique se nourrissent de mon enseignement, de ma relation avec mes étudiant(e)s.

Pour moi, l’art est une activité d’hybridations et d’entrecroisements directement liée à la vie et je vois l’art au service de la vie ( Allan Kaprow, Suzi Gablik ). La pratique de l’art et son enseignement m’invite à être attentive au monde,  à me questionner sur les façons de relier l’individuel et le collectif,  à utiliser l’intelligence du corps, à constamment faire et défaire les empilades précaires de mes certitudes.

Une pédagogie vitale remet continuellement en question ses paramètres, ses taxonomies, sa formation.  En réfléchissant sur mon enseignement,  j’aime me rappeler qu’ “ éduquer (educare) veut dire conduire dehors — donc hors-de-soi, vers autre chose, vers l’Autre .” (1)

La métaphore d’avoir à se départir de soi-même pour accéder à la connaissance me séduit.  Dans cette perspective, l’éducation peut être envisagée comme un cheminement du Soi vers l’altérité, vers l’inconnu, vers le non résolu, vers différentes façons d’appréhender la notion cruciale que toutes les formes de vie sont reliées.  Paradoxalement, une sincère connaissance de Soi toujours en mouvance et un engagement indéfectible envers soi-même sont les clefs pour s’ouvrir.
Mon but est d’encourager les étudiant(e)s à développer et nourrir leur esprit artistique et leurs habiletés, leur imagination créative et critique, afin de générer la pensée,  l’action et le plaisir de faire.  La façon d’enseigner la plus efficace semble être de favoriser l’interaction entre l’autobiographie et la connaissance, entre le sujet et le Soi, en travaillant au point de rencontre des idées et des intuitions.

“ Les idées majeures au coeur de chaque discipline résultent de la vraie vie d’une vraie personne, pas seulement de la raison, mais de la psyché, du corps, des relations, des passions, du contexte socio-politique du penseur.” (2)

Ainsi, j’invite mes étudiant(e)s à introduire et à cristalliser leur propre vision dans leur travail: leurs idées, pensées, émotions, intuitions, intérêts, désirs, attentes, aspirations, ce qui les portent, à quoi ils tiennent…pour déployer une saine curiosité à propos du Soi.  De là, il est possible de s’ouvrir  aux questions d’identité, d’appartenance, aux réalités sociales, aux très riches histoires de la céramique et de l’art, au large continuum dont nous faisons partie.

De cette façon, il est possible de dépasser l’autobiographie et d’aller à la rencontre de réalités plus larges basées sur la reconnaissance et le respect  de la différence, sur l’importance de notre relation à l’Autre, à la société,  à l’environnement, à la vie.

Selon moi, un des rôles significatifs d’un artiste est se s’engager à vivre de façon la plus consciente possible afin de pouvoir s’inspirer de petites choses de la vie quotidienne qui tissent l’expérience de chacun.  De là, les différentes façons d’appréhender la réalité peuvent être revisitées.  On ouvre des espaces pour le souci de Soi, le souci des autres et pour la compassion. Réaliser nos liens de parenté avec toutes les manifestations du vivant devient aussi possible. L’art a le potentiel de proposer d’autres façons de voir et de percevoir notre rapport au monde si les artistes s’aventurent à vivre attentivement.

Je perçois la notion d’invention comme l’acte clé vers lequel mon enseignement tend.  Cette orientation permet aux étudiant(e)s  de créer des liens inhabituels entre les choses, d’expérimenter les choses différemment, de remodeler les idées préconçues, d’imaginer l’inimaginable…

Éventuellement,  j’agis comme une force catalysatrice;  je communique mon enthousiasme, ma curiosité, ma passion et ma gratitude pour l’art et pour la vie, espérant que cela soit contagieux!

 

(1) Lamberto Tassinari, Education. Pre-text, in Vice-Versa, Transcultural Magazine, no.33, May-June 1991, p.5

(2) Carol Becker, Conversations before the End of Time, édité par Suzi Gablik, New York: Thames and Hudson, 1995, p.359 (ma traduction)